Analyses biologiques

Chirurgie bucco-dentaire-Quelles analyses biologiques prescrire ?

Bilan d’hémostase, numération globulaire, formule leucocytaire, sérologie… des examens utiles pour prévenir les risques opératoires et post-opératoires. Alors, dans quels cas les demander. Comment les relier à la clinique ? Quelle interprétation en faire ?

Réponse du Dr Johanna Bennarosh-Amzalag, pharmacien biologiste, Ancien interne des hôpitaux.

Dr Alain AMZALAG :
Avant une intervention bucco-dentaire invasive, quels sont les examens sanguins recommandés ?

Dr J.B. :
Le premier risque à évaluer avant ce type d’intervention est certainement le risque hémorragique. Pour le déterminer, il faut dans un premier temps interroger son patient : A-t-il des antécédents personnels et/ou familiaux hémorragiques. Est-il atteint d’une maladie susceptible de provoquer des troubles de l’hémostase : néoplasie, hémopathie maligne (leucémie, myélome, lymphome…), pathologie génétique hémorragique (maladie de Willebrand, hémophilie…) ? Suit-il un traitement anticoagulant ou antiagrégant ? Quelles ont été les drogues prises dans les jours précédents et en particulier y a-t-il eu une prise banale d’aspirine ou d’AINS. En l’absence de réponse alarmante, pour un geste simple, on ne peut pas faire de bilan biologique. En revanche, si l’intervention comporte un risque hémorragique, un bilan d’hémostase est conseillé est conseillé. Il comprend la mesure du temps de saignement (TS) ou bien du temps d’occlusion plaquettaire (TO), une numération plaquettaire, le temps de céphaline + activateur (TCA) et le temps de Quick (TQ). Si dès le stade de l’interrogatoire, de possibles complications hémorragiques du geste opératoire sont dépistées, le chirurgien-dentiste prendra contact avec le médecin traitant. Ce dernier prescrira les examens adéquats et déterminera avec lui le meilleur moment pour opérer.

Dr A.A. :
Pouvez-vous détailler le rôle et l’intérêt des examens prescrits dans le cadre d’un premier bilan d’hémostase ?

Dr J.B.:
Le TS explore l’hémostase dite primaire, c’est-à-dire les facteurs vasculaires, plaquettaires, le fibrinogène et le facteur Willebrand. La technique actuellement recommandée est celle d’Ivy : on mesure le temps de coagulation spontané après une petite incision sur l’avant-bras. Le temps de saignement normal se situe en dessous de 10 minutes. Le TS ne sera allongé que pour des thrombopénies majeures inférieures à 50 000 plaquettes/mm² et devant un nombre normal de plaquettes il pourra permettre de dépister des thrombopathies, c’est-à-dire des anomalies qualitatives des plaquettes ou une maladie de Willebrand. La normale varie selon le type d’incision et la technique employée. Il faut donc toujours se référer aux normes précisées par le laboratoire.

Dr A.A. :
Vous parliez aussi de temps d’occlusion plaquettaire…

Dr J.B.A.:
Oui, cet examen remplace de plus en plus souvent le TS, il s’agit d’un test global d’évaluation de l’hémostase primaire réalisé à partir d’un prélèvement sanguin. Cet examen est mieux standardisé et plus sensible que le TS, notamment pour dépister les formes frustres de la Maladie de Willebrand. Pour information, cette pathologie est l’anomalie hémorragique la plus répandue, elle est observée chez 1 à 3% de la population. Le TO révèle également la prise d’aspirine, toutefois il ne détecte pas les prises de Clopidogrel et de Ticlid, d’où l’importance de l’interrogatoire médical préalable.


Dr A.A. :
Qu’en est-il du TCA et du TP ?

Dr J.B.A.:
Ces deux examens mesurent le temps de coagulation du plasma en présence d’activateur (TCA) ou d’extrait tissulaire (TQ). Le TQ est souvent exprimé en taux de prothrombine (TP-résultats rendus en %), en seconde, ou bien en INR (International Normalized Ratio). L’expression en INR réservée exclusivement à la surveillance des traitements pat les antivitamines K permet de réduire les variations interlaboratoires. En cas d’anomalie de ces tests (en l’absence de traitement anticoagulant) : TCA patient supérieur à 1.2 fois le TCA témoin, TP inférieur à 70%, il faut envisager des explorations complémentaires.

Dr A.A. :
Donc, si l’un des paramètres signale une anomalie, il est préférable de na pas opérer…

Dr J.B.A. :
Tout à fait. En cas de découverte d’une anomalie, il faut orienter son patent vers son médecin traitant qui procédera à un bilan complémentaire.
S’il existe une maladie concomitante connue du patient ou un traitement médical ayant des répercussions sur l’hémostase, il faut prendre l’avis du médecin traitant et déterminer avec lui le moment le plus approprié pour opérer (en particulier lorsque le patient reçoit une chimiothérapie ou une radiothérapie).

Dr A.A. :
Quelle est la conduite à tenir avec un patient sous anticoagulant ?

Dr J.B.A. :
Tout dépend de l’indication du traitement. S’il est administré à titre préventif, le chirurgien-dentiste doit se renseigner sur le type d’anticoagulant et contacter le médecin traitant pour voir s’il est possible d’arrêter ce traitement le temps nécessaire à l’intervention dentaire. Si un traitement pat anti-vitamine K peut être stoppé, le délai de restauration à la normale du TP est fonction du type d’anti-vitamine K. si le patient est sous héparine de bas poids moléculaire, il suffit d’arrêter le traitement 12h avant le geste chirurgical. Dans le cadre d’un traitement anticoagulant curatif, il est impératif de prendre l’avis du médecin traitant et de discuter l’opportunité du geste chirurgical par rapport à la maladie sous-jacente.

Dr A.A. :
Une numération globulaire, une formule leucocytaire présentent-elles un intérêt avant une intervention chirurgicale bucco-dentaire ?

Dr J.B.A. :
Oui, si l’on s’interroge sur l’existence d’un foyer infectieux. Une hyperleucocytose (globules blancs supérieurs à 10 000 /mm²) portant sur les polynucléaires neutrophiles peut révéler une infection localisée ou généralisée et/ou un syndrome inflammatoire. Par ailleurs, un syndrome inflammatoire marqué peut entrainer une anémie qui se définit par une diminution de l’hémoglobine en dessous de 11g/dl.

Dr A.A. :
Dans le cadre d’une infection, les informations fournies par la vitesse de sédimentation sont-elles vraiment fiables ?

Dr J.B.A. :
Cet examen étudie la chute des éléments figurés au sein du plasma, le sang étant placé dans un long tube étroit. La vitesse de sédimentation est mesurée par la hauteur en millimètres de la colonne de plasma au bout d’une heure puis de deux heures. Une vitesse de sédimentation accélérée peut être un marqueur d’infection. Fréquemment demandé, ce test n’est pas très informatif car il existe de grandes variations individuelles ; la vitesse de sédimentation varie en fonction de l’âge, du cycle menstruel, du tabagisme, etc… Il faut donc se montrer très prudent dans son interprétation.

Dr A.A. :
Pensez-vous qu’il soit utile de demander des sérologies du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et de l’hépatite virale C au patient ?

Dr J.B.A. :
Les recommandations actuelles ne vont pas dans le sens d’une prescription systématique, mais bien évidemment, mieux l’on connaît son patient, meilleure est sa prise en charge. Par ailleurs, la prescription de ces analyses peut se justifier, dans le cadre de la prévention de la transmission des infections virales après accident d’exposition au sang. Quelles que soient les circonstances de la prescription, il faut toujours le faire avec l’accord écrit du patient et en cas de résultat positif lui en faire part au cours d’un entretien. Ne pas oublier qu’une sérologie de l’hépatite C positive n’est pas synonyme d’hépatite C chronique mais qu’elle révèle simplement un contact antérieur avec le virus et que toute sérologie découverte positive pour la première fois doit systématiquement être contrôlée sur un nouveau prélèvement.
Il est aussi important de rappeler que la prévention des accidents professionnels d’exposition au sang passe par le respect des précautions universelles d’hygiène. Tout patient est potentiellement à risque. Il faut donc en particulier, lors de tout acte opératoire porter des gants et un masque ou des lunettes de protection en cas d’exposition à des projections, sans parler bien sûr de la nécessité pour le chirurgien-dentiste et son équipe d’être vacciné contre l’hépatite B comme cela est recommandé à l’ensemble des professionnels de santé.

Conclusion :
Lorsque l’analyse des examens biologiques révèle un risque hémorragique, nous ne devons pas hésiter à entrer en relation avec le médecin traitant avant toute intervention invasive. La prescription d’analyses préopératoires et la meilleure interprétation de ces tests biochimiques de l’hémostase, ne feront que renforcer notre approche médicale du patient.