Accidents au cabinet dentaire : que faire ?

Inhalation d’un corps étranger dans les voies aériennes supérieures, migrations dans le sinus maxillaire, malaise vagal, hypoglycémie, crise de tétanie… des accidents médicaux extra-dentaires peuvent survenir en cours de consultation. Quelle conduite tenir face à ces imprévus qui représentent parfois de véritables urgences.
Entretien du Dr Alain Amzalag avec le Dr Luc Chikhani, chirurgien maxillo-facial.

Dr Alain Amzalag :

Lors des soins bucco-dentaires, il peut arriver qu’un patient inhale ou ingère un corps étranger : racine dentaire, couronne prothétique ou naturelle, fragments d’un instrument dentaire, etc… Que faire ?

Dr Luc Chikhani :

Si le patient manifeste une gêne respiratoire importante, avec un risque d’obstruction des vois aériennes supérieures, il faut pratiquer la manœuvre de Heimlich, pour aider le patient à expulser le corps étranger par la bouche. Placé derrière lui, le praticien le ceinture avec les deux mains placées l’un au-dessus de l’autre, sur l’épigastre entre l’ombilic et les côtes. Puis, il exerce avec ses mains une pression ferme et brusque, en direction du diaphragme, donc du bas vers le haut, en suivant une trajectoire de 45° par rapport au sol. Si, sans pour autant s’asphyxier, le patient tousse, il y a bien suspicion d’une inhalation du corps étranger : une radiographie du thorax s’impose. Si elle confirme la présence du corps étranger dans les voies aériennes supérieures, un pneumologue le retirera par fibroscopie.

Dr A.A. :

Si rien n’est fait, que se passe-t-il ?

Dr L.C. :

Le corps étranger continue à descendre dans les voies aériennes, où il finit par obstruer un segment de bronche. Tout ce qui est en aval n’est plus ventilé et se rétracte. Il y a atélectasie partielle du lobe et risque d’infection bronchique.

Dr A.A. :

Quelles complications peuvent survenir, suite à l’ingestion d’un corps étranger ?

Dr L.C. :

Par voie digestive, les risques sont moins importants car, globalement, le corps étranger passe bien au travers du système digestif, avant d’être éliminé par les selles.

Dr A.A. :

Comment différencier l’inhalation de l’ingestion du corps étranger ?

Dr L.C. :

L’inhalation amène le plus souvent une irritation bronchique et une gêne respiratoire immédiate. L’ingestion dans les voies digestives ne se traduit pas toujours par des symptômes particuliers. Si le corps étranger avalé est pointu, le patient peut toutefois signaler une irritation à la gorge. On regarde avec in miroir et un abaisse-langue, en lui tractant la langue et lui faisant dire « hééé » pour observer le haut du pharynx. Si l’objet est susceptible de se ficher dans les parois digestives, un cliché radiographique ASP est nécessaire, pour contrôler l’appareil digestif le jour même ou le lendemain.

Dr A.A. :

Sur le plan médico-légal, quelle est la responsabilité du chirurgien-dentiste ?

Dr L.C. :

Légalement, il est demandé au praticien d’assurer son obligation de moyens et de sécurité. Ainsi, l’inhalation et l’ingestion d’un corps étranger seront considérés comme des aléas thérapeutiques, sous réserve notamment que le patient ait été placé dans une position correcte. On peut aussi reprocher au praticien l’absence de prise en charge des suites post-opératoires, de ne pas avoir incité le patient à faire faire une radiographie, de ne pas l’avoir orienté vers le spécialiste adéquat ou un service d’urgences.

Dr A.A. :

Par ailleurs, comment réagir en cas de migrations dans le sinus maxillaire ?

Dr L.C. :

Première chose, on prévient le patient, comme d’ailleurs dans les autres cas de figure. Ensuite, le praticien peut tenter la manœuvre de Valsalva. Il demande au patient de souffler par le nez, tout en se pinçant les narines, ce qui entraîne une hyperpression dans le sinus maxillaire. Si le corps étranger n’a pas dépassé la muqueuse sinusale, cette manœuvre suffit à l’expulser. S’il a migré plus loin, dans la lumière aérienne du sinus, le chirurgien-dentiste peut chirurgicalement agrandir son alvéolectomie et ouvrir le sinus, sachant qu’il devra le refermer. Ou bien il adresse directement son patient à un stomatologue ou un chirurgien maxillo-facial. On prescrit enfin un Blondeau de contrôle post-opératoire et éventuellement un panoramique dentaire.

Dr A.A. :

Passons à présent aux accidents hémorragiques. Quelle est la conduite à tenir ?

Dr L.C. :

Le traitement doit d’abord être préventif avec un interrogatoire préalable. Le praticien s’assure que son patient n’est pas sous-anti-coagulants ou anti-agrégants plaquettaires, comme c’est très souvent le cas suite à un infarctus ou une phlébite par exemple. Il faut savoir qu’un comprimé d’aspirine provoque une baisse de l’agrégation des plaquettes durant dix jours. En cas de traitement anti-coagulant, on demande un bilan de l’hémostase, un TP, une INR qui doit être inférieure à 3. Si le patient prend de l’Aspirine, du Kardegic ou du Plavix, il lui faut interrompre ses prises pendant dix jours, avec l’accord du médecin prescripteur.

Dr A.A. :

Mais si le patient omet d’avertir le chirurgien-dentiste…

Dr L.C. :

La prise d’anti-coagulants ou d’antiagrégants plaquettaires va provoquer un saignement chronique qui ne se tarit pas. En dentaire, sur une opération simple, il faut alors procéder à une compression. Après nettoyage de l’alvéole, on s’assure qu’il n’y a pas une communication bucco-sinusienne ou une lésion d’un pédicule vasculaire. Puis, on applique une compresse de Surgicel, on met des points en X et on comprime soi-même pendant vingt minutes, montre en main. Le patient ne quittera le cabinet qu’une fois l’hémorragie stoppée. Si cette tentative d’hémostase est vaine, il faut penser à une lésion traumatique d’un pédicule vasculaire. Elle survient le plus souvent lors d’une extraction de dent de sagesse, où il y a eu un traumatisme iatrogène du nerf alvéolaire inférieur ou du nerf lingual. Dans ce cas, il faut procéder à l’hémostase très sélective de ce qui saigne, sans coaguler le nerf alvéolaire inférieur.

Dr A.A. :

Le chirurgien-dentiste est-il en mesure de faire face à tous les types d’hémorragies endo-buccales ?

Dr L.C. :

La ligature d’une artériole qui saigne et la compression lui permettent le plus souvent de venir à bout de l’hémorragie ou de temporiser, en dehors des grosses tumeurs et de l’angiome, hantise des stomatologues. Facilement confondue avec un kyste apico-dentaire, cette malformation artérielle ou veineuse présente un risque hémorragique majeur en cas d’atteinte : le patient saigne en jet à flux continu et peut se vider en quelques minutes. Il faut immédiatement appeler le Samu ou les pompiers pour un transport dans un service d’urgence.

Dr A.A. :

A présent, quelle est la marche à suivre en cas de malaise vagal ?

Dr L.C. :

Il s’agit d’une brachycardie, c’est-à-dire d’un ralentissement cardiaque associé à des sueurs profuses, à une pâleur, voire même à une perte de conscience. Le pouls descend à 30 pulsations/minute environ. On allonge le patient dont on surélève les jambes au-dessus de sa tête pendant trente secondes. Il se recolore et revient à lui. C’est in incident banal qui survient souvent quand le patient quitte le fauteuil. Attention alors au risque de chute. La responsabilité du praticien est engagée. Si le patient est fragilisée, on le garde un peu dans la salle d’attente.

Dr A.A. :

Et commet gérer la crise d’hypoglycémie ?

Dr L.C. :

A jeun, un patient stresse. Il va sécréter de la noradrénaline et consommer son glucose. Il se retrouve alors en hypoglycémie. Il tremble, se sent mal. On lui administre alors un verre d’eau où on été dissous trois sucres. En cas de perte de conscience, on appelle les secours.

Dr A.A. :

Le stress opératoire peut-il déclencher une crise d’épilepsie ?

Dr L.C. :

Tout à fait, d’où l’importance de l’interrogatoire pour retrouver des antécédents. Il y a plusieurs types d’épilepsie. La plus caricaturale est le « grand mal » : le patient se met à trembler, il bave. On l’allonge sur le sol, en position latérale de sécurité. On vérifie qu’il n’y a plus rien dans la bouche et on protège la langue que l’on maintient. L’assistante appelle les secours. Une injection de benzodiazépine calmera la crise.

Dr A.A. :

Autre cas moins grave, mais impressionnant : la crise de tétanie …

Dr L.C. :

En effet, le patient se raidit, ses membres se tordent. S’il s’agit d’une tétanie simple, elle peut être régulée par le contrôle de la ventilation. On lui demande d’inspirer en comptant 1-2 et d’expirer en comptant 1-2-3. Sinon, on peut lui conseiller aussi de bloquer totalement sa respiration, le plus longtemps possible. En cas de non résolution de la crise, on contacte les secours car on peut être sur un diagnostic d’épilepsie frustre.

Dr A.A. :

Le geste opératoire ou l’utilisation de nos produits peuvent-ils activer le risque d’infarctus ?

Dr L.C. :

Chez un patient présentant des facteurs de risques cardiovasculaires, qui a des angors ou est traité par Trinitrine, il faut proscrire l’utilisation de vasoconstricteurs, tels que ceux présents dans certains anesthésiques.

Dr A.A :

Terminons par le choc anaphylactique …

Dr L.C. :

Il s’agit d’une hypersensibilité immédiate à un produit. Un urticaire ou un œdème de Quincke apparaît. Le patient respire de plus en plus difficilement. Son pouls et sa tension s’effondrent. Il se met en vasoplégie. Le cœur n’est plus fonctionnel. En attendant l’arrivée des secours, on effectue un massage cardiaque et on le ventile avec de l’oxygène ou par bouche à bouche.

Dr A.A. :

En conclusion, sur le plan médico-légal, nous devons donc assurer notre obligation de moyens et de sécurité. Dans ce cadre, il serait ainsi intéressant de renforcer notre formation médicale pour mieux répondre à ces situations d’urgence. Ainsi, la parfaite gestion de ces accidents pouvant intervenir au cabinet dentaire ne pourra alors que renforcer notre image de soignant et de clinicien sociétal.