PASSAGE A TABAC DE LA CIGARETTE
L’aide du Chirurgien-dentiste
Que la « Gauloise » soit fatale aux Gaulois, nul désormais ne l’ignore! S’en aller en guerre contre « Malborough » et ses semblables est également devenu une priorité. Alors, quel rôle peut tenir le chirurgien-dentiste dans l’incitation au sevrage ? Il s’agit d’une stratégie dont le praticien, témoin privilégié des dégâts liés au tabac, peut devenir le pilote …
Brûlures thermiques répétées, plaque dentaire ultra minéralisée, coloration des dents, lésions de nature plus ou moins grave… la liste des dégâts bucco-dentaires consécutifs au tabagisme semble interminable. De longue date, il m’était apparu souhaitable d’exercer une action préventive dans ce domaine. Toutefois, jusqu’à ce jour, le modus operandi efficace me semblait difficile à établir. Le rôle de l’éléphant dans le magasin de porcelaine était à éviter. Que le chirurgien-dentiste intervienne à propos du tabac pourrait être perçu comme une intrusion supplémentaire dans l’intimité du patient.
J’en vins à penser qu’exprimé par une personne étrangère à la profession, un point de vue de Sirius permettrait de débroussailler le terrain. Encore fallait-il que ce « Sirius » ne soit pas trop éloigné de notre galaxie odontologique.
J’eus la chance de le rencontrer en la personne du Docteur Françoise Hescot. Médecin ORL à l’origine, elle s’orienta vers la psychanalyse puis se spécialisa enfin dans l’addiction alccolique et tabagique. Si son patronyme suggère à certains une analogie, ils auront misé juste. Epouse du Président de l’UFSBD, on peut déduire que Mme Hescot entendit souvent aborder nos problèmes spécifiques.
Faire pencher la balance décisionnelle du bon côté
Tout net, elle n’hésite pas à l’affirmer : dans la lutte contre le tabagisme, le chirurgien-dentiste occupe une place privilégiée. Soigner l’ensemble bucco-dentaire étant sa vocation première, il campe donc aux avants postes pour constater les sinistres infligés à la zone prioritairement agressée par le tabac. Dents jaunies ou noircies, haleine fétide, lésions de diverses sortes constituent d’indéniables indices. Nul besoin n’est au chirurgien-dentiste d’être une réplique de Sherlock Holmes afin de détecter le fumeur.
Outre cette place aux premières loges, le chirurgien-dentiste bénéficie d’un autre avantage s’il entend mener une action préventive contre la tabac. En effet, il passe en moyenne plus de temps avec ses patients que la plupart des autres cliniciens. Ainsi aura-t-il le loisir de cerner la psychologie du soigné, de doser savamment son information.
S’il ne veut pas compromettre la réussite de son action, le chirurgien-dentiste devra, au niveau de la psychologie, adopter une finesse de patte égale à celle qu’il mettrait dans la recherche d’un canal. Zen, il domirera, quand bien même le fumeur l’agace a priori. Car lorsqu’il effectue un pénible détartrage, la perspective de voir une réapparition prochaine des tâches sur l’émail qu’il est en train d’effacer n’est guère encourageante. S’il se projette alors dans cet avenir prévisible, le praticien risque d’utiliser une élocution « héroïque ». Il culpabilisera l’auto-destrcution du patient, l’exhortera à faire preuve de volonté.
Ce faisant, il aura tout faux. Car le Docteur Françoise Hescot le souligne : « l’usage du tabac relève presque toujours de la dépendance. Lorsq’aux alentours de la quinzième année, l’adolescent allume sa première cigarette dans le dessein de se donner une contenance, il aura 95% de risques de devenir dépendant car le tabac a un pouvoir addictogène supérieur à celui de l’alcool. Avec de tels prémices, la volonté volera en élats dès que l’état de manque se manifestera.
Aux yeux de Françoise Hescot, seule une puissante motivation peut conduire au succès. Et la spécialiste évoque la balance décisionnelle. Su l’un de ces plateaux pèse l’ensemble des profits consécutifs au sevrage : amélioration de la santé et de l’esthétique, épargne financière, sensation de libération à moyen terme, confort accru dans le rapport avec l’entourage, récupération du goût et du sens olfactif, et disparition des mauvaises odeurs.
De l’autre côté, figureront les servitudes réelles ou imaginaires liées à l’arrêt du tabac : privation d’une habitude laquelle était au départ un plaisir, peur des stress et d’une sensation de vacuité mentale, absence d’un rite gestuel considéré comme sécurisant. L’important consistera donc à charger au maximum le plateau des avantages afin de faire pencher la balance du bon côté.
Or la tâche n’est pas mince car nous vivons en France, au sein d’une société où le lobby pro-nicotine commence à peine à céder du terrain. Longtemps, les mesures gouvernementales sont demeurées lettre morte. Et notre spécialiste se livre à une comparaison : si les Etats-Unis et le Canada sont parvenus aujourd’hui à priver pratiquement le tabac de son droit de cité, deux décennies d’efforts intensifs furent nécessaires. En France, nous avons vingt ans de retard. Songez que, pour la première fois dans son édition de 2005, le vénérable guide Michelin fait état des salles « non fumeur » dans les restaurants.
Tactique au coup par coup
Quelle sera la politique du chirurgien-dentiste s’il entend amener le patient à une réflexion constructive sur le tabac. Comme toute tactique, la meilleure consistera à s’adapter au terrain. Le motif même de la consultation du patient peut être une excellente porte d’entrée. Si la coloration de ses dents le préoccupe, on lui devra observer qu’un arrêt de la cigarette améliorerait durablement la situation. Si des troubles parodontaux justifient sa visite, il sera souligné qu’un sevrage tabagique allègerait ses problèmes.
A la légion des carieux à répétition, on apprendra que des études récentes démontreraient que fumer entraîne des risques de caries et de perte de dents croissants avec l’âge. Quant aux femmes enceintes que le gynécologue n’aurait pas convaincues d’écraser la clope, le dentiste expliquera que le tabagisme intensifie les manifestations bucco-dentaires observées pendant la grossesse.
Lorsque le patient consulte dans le dessein d’obtenir une amélioration esthétique, la praticien joue sur du velours. Au candidat à des implants dentaires, démonstration sera faite qu’à long terme la réussite d’un programme d’implantologie sera remise en question par la consommation de cigarettes. Compte tenu du coût élevé de l’intervention, cet argument imparable fera son chemin dans l’esprit de l’intéressé. Cela d’autant plus que l’abstinence permettra en outre d’amortir l’engagement financier.
Patient, dentiste, on joue gagnant-gagnant
Outre la crainte d’intervenir dans la vie privée du patient, certains dentistes ont une autre raison de renâcler à jouer ainsi au « tabacologue » supplétif. Le temps utilisé le sera au détriment de la marche financière du cabinet.
Le Docteur Françoise Hescot s’inscrit en faux contre cet argument. Elle déclare : « jamais la Sécurité Sociale ne refusera la prise en charge d’une consultation dentaire consacrée au sevrage tabagique ». Certes, il s’agit d’une reconnaissance de notre fonction médico-sociétale. Du reste, dans ce domaine, dentiste comme patient jouent gagnant-gagnant. Quelle que puisse être la spécialité initiale du praticien qui l’amena à l’arrêt du tabac, ce dernier gagnera en prestige et en fidélisation dans l’esprit de l’ex-fumeur.