Chirurgie esthétique

Le Dr Alain Amzalag évoque sa rencontre avec le Dr Thierry Aboudaram, plasticien de renom. Leur échange de vues souligne l’étroite interférence entre chirurgie esthétique et dentaire.

Dr Thierry ABOUDARAM

Chirurgien plastique et esthétique

Ancien chef de clinique chirurgicale à la Faculté de Médecine de Paris

 

 

 

Avant d’intervenir sur un visage par une rhinoplastie ou un lifting, le chirurgien esthétique tient-il compte de l’état dentaire du patient ?

Se préoccupe-t-il de la dimension verticale du visage ?

Il  se peut, en effet, qu’un bruxisme ait usé les dents, qu’une prothèse mal adaptée entraîne un affaissement, d’où un vieillissement prématuré du visage Par ailleurs, une judicieuse restauration dentaire a souvent pour heureuse conséquence de retendre les tissus et de réourler les lèvres.

Le plasticien n’a-t-il donc pas intérêt à effectuer une analyse bucco-dentaire préalable ? Une telle démarche est-elle courante ?

La réponse du Dr Thierry Aboudaram laisse perplexe :

« Pour devenir chirurgien plasticien en France, il faut  suivre deux semestres de chirurgie digestive, trois de chirurgie orthopédique et au moins cinq de chirurgie plastique.

S’ajoutent à cela deux semestres optionnels, sur l’ophtalmologie par exemple. Autant dire que, dans la plupart des cas , les gens ne sont pas aptes à prendre en compte l’aspect bucco-dentaire ou maxillaire du travail. Personnellement, j’ai eu la chance de consacrer six semestres à la chirurgie cervico-faciale et maxillo-faciale. En fait, on devrait contraindre les internes plasticiens à s’intéresser à la bouche. C’est fondamental sur le plan anatomique et cela représente 50% du problème. »

 

A ses yeux, l’objectif sourire est essentiel. Les patients y tiennent car il constituera l’image qu’ils vont renvoyer Un articulé dentaire impeccable en est la condition. Le plasticien s’intéresse aussi à l’angle formé entre le nez et la lèvre.

Plus ouverte chez la femme, il atteint 110 degrés et se limite à 95 degrés chez l’homme. On citera encore l’angle de la lèvre qui atteint 10 degrés par rapport à la verticale. L’ensemble de ces données sera impliqué dans trois types d’interventions. Dans le cas de la rhino-plastie, seul le travail effectué sur l’épine nasale, et non celui réalisé sur la partie haute, jouera sur le sourire. En fait, creuser l’épine nasale revient à tirer sur la lèvre. Trop de plasticiens oublient ou ignorent ce détail.

Suivant la façon dont on creuse plus ou moins profondément l’épine nasale avec la gouge, on augmentera et allongera visuellement la lèvre. On peut en déduire que, si à l’origine la patiente n’a pas un sourire gingival, elle pourrait ainsi l’avoir.

PAS DE CHARRUE AVANT LES BŒUFS

«Avant toute rhinoplastie, il convient d’effectuer le travail nécessaire sur les dents. » poursuit le Dr Aboudaram.

Donc, en tant que sculpteur du sourire, le dentiste établit une relation étroite entre l’importance du nez et le volume des dents. Transformer un nez massif en un petit nez retroussé sans prendre en compte la morphologie dentaire n’entraîne-t-il  pas un décalage ?

Le Dr Aboudaram en est conscient :

« Si on modifie le support de la lèvre et qu’elle recule; on se retrouve avec une exposition des trous de nez en raison du manque de soutient au niveau de la dent. Ainsi, lorsqu’on effectue une rhinoplastie ou un lifting sur une patiente portant un dentier, elle doit retirer l’appareil en raison de l’anesthésie générale. On opère alors avec des photos au mur, afin de conserver une référence visuelle. En résumé, tout comme on réhabilite le moteur d’une voiture avant d’en refaire la carrosserie, il faut impérativement s’occuper des dents avant de régler le problème plastique du visage. »

Mais le lifting et le traitement de la lèvre supérieure influent encore davantage sur le sourire. Chez une personne vieillissante, le sourire se trouve enclavé entre les sillons nasogéniens. Le voici figé par effondrement cette masse qui l’entoure.

L’opération amènera le rajeunissement en réveillant le sourire. Quant au traitement de la lèvre supérieure, il peut s’intégrer au lifting.
Le meilleur traitement de la lèvre se résume en une abrasion de celle-ci au laser ou à l’aide d’une meule :

« D’autres techniques existent; personnellement, je les repousse. Citons le lipofeeling qui consiste à injecter de la graisse (le silicone est interdit).

Aberration car ainsi gonflée, la lèvre va s’alourdir puis retomber tel un rideau. Ceux qui opèrent de la sorte feraient mieux d’adresser la patiente au dentiste, afin qu’il restaure la masse dentaire. Dès lors, le ponçage déjà décrit suffirait. Parlons encore du Botox. Son utilisation défie le bon sens.

Il paralyse la lèvre car il bloque la transmission au niveau de la synapse entre l’influx nerveux et le muscle. Voilà la lèvre atrophiée. Hélas, il s’agit actuellement de l’acte le plus pratiqué par les médecins, voire par les chirurgiens esthétiques. Il illustre une totale méconnaissance de la motricité de la lèvre, de sa tonicité et de son volume. »

Il Y A LIFTING ET LIFTING

Grave,  donc, si le plasticien ne voit pas plus loin que le bout de son nez, qu’il opère. Qu’advient-il donc, par exemple, s’il pratique un lifting sans se préoccuper d’une diminution de la dimension verticale d’un visage, consécutive à l’érosion des dents ?

Avec lucidité, le Dr Thierry Aboudaram décortique le problème :

« Dans un tel cas, le lifting aura pour unique effet la correction des rides. Si l’on ignore la verticalité du visage et le sourire, l’intervention se limite à régler la question du relâchement de la joue et de la bajoue. Certes, la patiente ne sera pas mécontente car l’effet de la rétention de la peau sera apparent. En revanche, elle ne sera pas plus belle. Or la beauté demeure l’objectif à atteindre. Elle s’obtient en éclairant le milieu du visage parce qu’à la limite, la joue part en ligne de fuite. Ce que l’on perçoit d’un lifting, ce sont les sillons nasogéniens et les bajoues que l’on voit dans l’axe. Le reste est en ligne de fuite et si l’on fait fi de la dimension verticale et du sourire, on ne répondra à sa demande que de manière partielle. »

La nécessité d’une étroite collaboration entre le chirurgien – esthétique et chirurgien-dentiste étant établie, quel conseil le plasticien donnerait-il à l’orthodontiste ? Tout juste les invite-t-il à la modération :

« Il semblerait souhaitable qu’ils privilégient le respect de l’essence profonde des gens plutôt que de cultiver la technique pour la technique. Qu’il s’agisse de l’orthodontie enfantine ou celle destinée aux adultes, gare à l’uniformité. Chaque patient est unique. Entrent en ligne sa morphologie, ses aspirations, sa future évolution. Pourquoi  n’utiliseraient-ils pas la concertation ? J’imagine très bien le trio orthodontiste, médecin-esthétique et chirurgien-dentiste ».

Judicieuse idée puisque déjà à Paris, l’Hôpital Rothschild a créé une consultation du sourire.