Comment vaincre l’angoisse liée aux soins dentaires ?

Prise en charge de l’angoisse et de la douleur : la clé de notre réussite
L’angoisse liée aux soins dentaire et à la douleur constitue le principal frein à la consultation.
Cette peur prégnante irrationnelle et universelle confine l e patient dans une posture de négligence ou de procrastination. Le patient aura aussi tendance à se retrancher derrière le paramètre financier afin de décliner toute proposition thérapeutique. La démystification, la dédramatisation et la désacralisation des soins passeront forcément par une bonne prise en charge de la douleur.

Contexte comportemental de la douleur dentaire

L’angoisse liée à la douleur dentaire s’inscrit dans un cadre psychosociologique complexe. Sans prétendre être exhaustif, il semble intéressant de recenser les principales sources d’anxiété qui interagissent avec la douleur.

Classification des peurs ressenties par le patient
Peur du viol ou du viol de l’intimité :  Lors du congrès de l’Association dentaire française en 2004, j’ai donné une conférence sur le thème « Le patient est un homme ». A l’issue de mon intervention, une jeune consœur vient me confier son désarroi. Un patient atteint d’anxiété extrême lui avait fait traverser un calvaire. Au départ, il est vrai, elle souffrait elle-même d’un handicap : une carence d’autorité naturelle. Du coup, dans les cas difficiles, elle avait tendance à en faire trop.
Ainsi, afin d’amener le patient récalcitrant à accepter les soins, elle avait essayé d’appliquer la stratégie de « la main de fer dans un gant de velours ». Elle avait commencé par l’assurer que « cela ne ferait pas mal » puis comme l’intéressé demeurait réticent, elle avait fait un petit coup d’état en lui intimant l’ordre de s’asseoir et d’ouvrir la bouche. La séance fut pénible et les résultats guère plus gratifiants. La seconde visite constitua un véritable échec. Cette fois, le patient entra carrément en rébellion ouverte.
Lorsque la jeune femme me retrace l’épisode, elle ne masque pas sa perplexité. Elle ne parvient pas à détecter la raison profonde de cette résistance systématique. Que lui répondre ? Je n’ai rien d’un oracle. En effet, chaque patient représente un cas particulier. Toutefois, je la prie d’imaginer le cas de figure suivant : un homme quasiment inconnu d’elle, lui propose un rapport intime immédiat. Bien entendu, la brutalité de sa proposition, l’aspect du postulant, l’inopportunité du lieu et de l’instant entraîneront de sa par un refus catégorique. Le personnage, loin de tenir compte de son refus, la prend de force. Une fois cette hypothèse posée, je demande à mon interlocutrice de qualifier cet acte. Sans hésiter, elle rétorque : « un viol ! ».
Le mot est lâché ! Il est puissant. Trop violent, peut-être, si on le transpose à l’intervention dans la zone buccale. Toujours est-il que ce secteur représente un véritable carrefour des sens. Même si elle se révèle nécessaire, son exploration entraîne un vol de l’intimité.
Or de vol à viol, il n’y a qu’un pas à franchir. N’en serions-nous pas conscients, les psychologues se chargeraient de nous le rappeler. Claude Olievienstein, dans « Ecrits sur la bouche », dépeint sans complaisance l’intrusion buccale à laquelle se livre le chirurgien-dentiste : « Il regarde au-dedans de nous avec la totale impudeur d’une prise de possession ». Olievenstein C. Ecrit sur la bouche. Editions Odile Jacob, Paris 1995

Pénétration de l’intimité : Une épreuve
Avec une toile de fond aussi chargée, on saisit davantage le type d’angoisses latentes à venir. En outre, le spectacle du couple dentiste-patient en situation n’a rien non plus d’ordinaire. Deux personnes jusqu’alors inconnues l’une pour l’autre se retrouvent à distance quasiment intime, le soigné étant étendu la bouche ouverte. Dès lors, l’imaginaire ne voit-il pas le dentiste comme un voyeur, voire un violeur en puissance ? Si le patient adhère à cette logique de suspicion, il va élaborer une tactique de protection. Comme la meilleur des défenses consiste à attaquer, différents schémas de déstabilisation du praticien pourront être appliqués, selon la personnalité et les origines de chacun.
La patient avec, par exemple, une formation scientifique, s’efforcera de piéger le praticien sur son propre terrain. Ainsi m’est-il arrivé d’être soumis à la « question » par un soigné, physicien de son état. De but en blanc, il s’enquit de ma méthode afin d’établie le coefficient de mastication. Je tentai de déjouer le piège. Habituel partisan des explications claires, j’adoptai dans ce cas un langage crypté une réponse d’un hermétisme à toute épreuve. Cella suffit à ce physicien. Satisfait d’avoir livré ce baroud d’honneur, il se calma et accepta les soins.
Il arrive aussi qu’un patient s’efforce de brouiller les pistes en se livrant à une logorrhée autovalorisante. Souvent, les personnes exerçant des responsabilités professionnelles importantes privilégient ce stratagème. On note à cet instant une tentative de récupération du pouvoir. Se trouvant sur le fauteuil dentaire, réduit à une position subordonnée, notre décideur verbalise avec intensité. Ainsi, se rassure t-il en retrouvant pour un instant sa situation dominante.
Peur du harcèlement sexuel :
La peur du harcèlement sexuel n’apparaît pas dénuée de fondement. En effet, l’éventualité de voir le praticien d’une quelconque spécialité de la médecine se doubler d’un harceleur sexuel ne saurait être écartée.
Dans certains pays, cette hypothèse entre en ligne de compte. La suède en fournit un exemple. De longue date, un gynécologue homme ne peut y pratiquer un examen hors de la présence d’une infirmière. Même si cela se produit à un moindre degré, le chirurgien-dentiste intervient lui aussi au sein d’une zone intime habituellement réservée à un autre type de contact. Il lui appartient de demeurer d’autant plus vigilant que le débat général portant sur le harcèlement sexuel adopte aujourd’hui des dimensions parfois exagérées. Les médias et certains secteurs associatifs n’ont cessé de l’alimenter. Ainsi peut-on générer un état d’alerte permanent. Le chirurgien-dentiste a donc tout intérêt à écarter toute ambiguïté. Sans pour autant exclure l’ouverture à l’autre, il sera opportun de demeurer très « doctoral » dans la gestuelle comme dans le discours.
Dans son ouvrage « Dentisterie comportementale » Bourassa M. Dentisterie comportementale. Editions du Méridien, Montréal (Québec) 1998 , notre confrère canadien Maurice Bourassa écrit : « Chacun de nous connaît ce qu’on appelle les limites de son espace vitale. Il s’agit de cette distance physique que nous ne souhaitons pas voir transgresser par autrui sans motifs valables. Le toucher doit d’accomplir selon certaines règles non écrites dans le cadre d’une relation spécifique ».
Comment le chirurgien-dentiste obtiendra t-il le visa de transit vers cet « espace vital » ? La meilleur des tactiques consiste à tirer parti du rituel social lié à la première rencontre entre soignant et soigné. En captant mieux les angoisses du patient, le praticie

n potentialise ses chances de réussite.

Peur post-traumatique :
En matière de communication gestuelle, l’excès nuit tout autant, sinon davantage, que la carence. Si le substantif « tact » désigne le sens du toucher, les dictionnaires lui accordent aussi une définition plus large. Il s’agit alors de « l’appréciation intuitive, spontanée et délicate de ce qu’il convient de dire, de faire et d’éviter dans les relations humaines ». Ce couple sémantique a valeur de garde-fou.


Les conséquences d’un viol :
Lors de nos interventions, il est de notre intérêt d’empreindre nos gestes d’un sceau très « clinique ». A mon corps défendant, il m’est arrivé d’enfreindre cette règle. Je recevais une jeune femme particulièrement nerveuse. Elle me l’avoue d’emblée : je suis son énième dentiste. Elle expliquait cette inconstance par une peur maladive de la douleur couplée à une aversion viscérale pour tout contact physique avec quiconque. Nous étions mal partis ! Je décide pourtant de tenter l’aventure. Me voilà en train de recourir à tout l’arsenal des mesures préanesthésiantes auquel j’ajoute un luxe de précautions oratoires. Quant à mes gestes, ils s’efforcent de calquer la finesse de ceux d’un sapeur démineur.
Bref, la considérant telle une poupée de porcelaine, j’en arrive presque à la paterner. A l’issue d’une phase sensible, je prends l’initiative de la réconforter par un amical tapotement de la joue. Horreur ! Le résultat va à l’encontre du but recherché. Révulsée, elle se relève, comme mue par un ressort, prétexte une migraine et reprend rendez-vous pour la semaine suivante. A une virgule près, cette seconde séance réédite le scénario de la première. Vient un troisième acte. Dès le début, je suis aussi crispé et tendu qu’elle. Très vite, je craque à mon tour. Je lui rappelle avoir tout essayé, pris le maximum de précautions, démontré le caractère indolore de mes interventions et je finis par perdre patience. Elle prend congé, sans reprendre de rendez-vous, en me lançant : « Vous n’avez rien compris ! ».
Quelques jours plus tard, mon assistante me remet un livre. La jeune femme en question l’a laissé à mon intention. Le soir même, je vais parcourir l’ouvrage. Il traite de l’inceste. Elle a placé un post-it sur la page qui décrit le viol d’une fillette. Ma patiente me confiera par la suite avoir été elle-même abusée, enfant, par son père. Mon comportement empreint de tendresse éveillait en elle de sinistres réminiscences. Sans doute, sa confession eut-elle des effets bénéfiques, puisque par la suite, le traitement reprit un cours normal. Ainsi, même dans les situations extrêmes, la crainte du viol de l’intimité buccale peut être jugulée. Un effort pédagogique conjugué à une approche psychosomatique adéquate suffira à réintégrer le patient dans le réel.
Peur de perdre son identité
Un autre type de frayeurs nous donne souvent du fil à retordre. A la différence des terreurs précédemment exposées, elles sont identifiables. On peut donc les prévenir. Ces craintes gravitent autour d’une perte d’identité que pourrait entraîner la reconstruction du sourire.
Identité, dentition, déjà la musique des mots annonce un cousinage. Cette parenté va bien au-delà de la ressemblance phonétique. Outre sa richesse sensorielle, au-delà de sa valeur symbolique, la dentition a une indiscutable spécificité. Son analyse – comme celle de l’ADN – permet d’identifier un être humain lorsque l’état de délabrement ou la dislocation du corps élimine tout recours à une autre référence. Chaque catastrophe, qu’elle soit aérienne, climatique ou de quelque autre nature, souligne l’importance de cette lugubre fonction.
Le sourire est le deuxième aspect identitaire lié à la dentition. Il s’accorde aux fluctuations d’humeur du sujet, s’attache à exprimer ses sentiments. Mais le plus souvent, il reflète la nature profonde de l’individu. Aussi, voit-on en lui, à juste titre, la « carte de visite » de la personnalité. Ne serait-il pas dès lors réducteur de le ramener à une simple exposition de 32 petits blocs ivoirins alignés sur deux rangés superposées ?
Cette question procède d’un singulier paradoxe. En effet, aujourd’hui l’odontologie a franchi l’étape du soin dentaire de base. Désormais, de nouveaux protocoles, des équipements performants et des matériaux fiables lui permettent de pousser très loin la restauration esthétique du sourire. Pourtant, cette constatation débouche sur une nouvelle interrogation. Si remplir ces conditions techniques, paraît nécessaire, cette conformité suffit-elle à recréer l’état dentaire optimal qui eut été consécutif à l’évolution naturelle du sourire originel ?
La réponse est non. Si à l’instant précis où il devient sculpteur de sourire, le chirurgien-dentiste ne prend pas conscience de son patient dans une perspective holistique, jamais ses travaux ne parviendront à transmuer l’inerte en vivant.
Il lui importe donc de toujours conserver à l’esprit l’anxiété provoquée par l’idée de perdre des dents et de bien intégrer mentalement le caractère mutilatoire d’une telle situation.
Peur de la contamination
Les angoisses du patient sur les risques de contamination lors des soins dentaires, même si elles ne sont pas fondées, sont elles aussi compréhensibles. Si le sida n’est pas (et il s’en faut de beaucoup) l’unique affection concernée, c’est son irruption qui a déclenché l’alerte. Les maladies nosocomiales ont pris le relai lorsque les statistiques internationales ont affiché le triste record détenu par la France au sein des pays développés. Bien entendu, cette alarme concerne l’ensemble du milieu médical. Certains s’interrogent afin de savoir si le terme « infections nosocomiales » ne pourrait être appliqué aux soins dispensés dans le cabinet dentaire. A notre avis, la réponse est affirmative. Certes, au niveau de la stricte étymologie, le vocable « nosocomial » provient du grec « nosokomeio », lequel signifie « hôpital ». On notera à ce propos que le soin dentaire peut également être prodigué en milieu hospitalier et que les interventions pratiquées au cabinet dentaire présentent souvent un caractère invasif. Mieux vaut donc reconnaître que le chirurgien-dentiste a une obligation de sécurité tant à l’égard de ses patients que vis-à-vis de son équipe.

Les risques de contamination ne se limitent pas au sida et aux hépatites. Comme nous le savons, des instruments mal stérilisés peuvent servir de vecteurs à la transmission de germes, qu’il s’agisse de streptocoques ou de germes anaérobies présents dans la flore de Veillon. Contaminé, par un streptocoque, le patient peut faire un abcès, voire, s’il est immunodéprimé ou s’il a pris des anti-inflammatoires, une cellulite. Cette dernière peut se transformer en bactériémie, une fois le germe passé dans le sang, et entraîner une septicémie.
La liste des mesures préventives à adopter est longue. Elle va de l’élémentaire, mais rigoureux, lavage des mains à l’utilisation rationnelle d’une chaine d’asepsie sans faille. Comme tout praticien en connaît les détails, il serait superflu d’y revenir. En revanche, les patients ne connaissent pas la rigueur de cette chaîne de l’asepsie.

En vertu du principe «bien faire et le faire savoir », le chirurgien-dentiste doit prévenir les craintes de ses patients. Afficher le protocole de stérilisation dans la salle d’attente ou l’inclure dans la brochure de présentation du cabinet sera excellent. Faire visiter la salle de stérilisation jouera encore un rôle de documentaire rassurant. L’ouverture des sachets contenant le matériel jetable ou stérilisé, sous le regard du soigné, sera également efficace.
Ce protocole, établi de manière pragmatique, nous permet de sécuriser le patient. Les contraintes qu’entraîne l’application de cette approche apparaissent légères comparées à l’importance des dividendes perçus. Le capital confiance accordé au chirurgien-dentiste est alors renforcé. A court, à moyen et à long terme, cette disposition positive viendra renforcer l’alliance thérapeutique.


Peur de l’empoisonnement
Nous rêvons tous du patient idéal, qui a cessé d’assimiler la consultation dentaire à une corvée empoisonnante. Hélas, de l’autre côté de la barrière, au sein du public, un nouveau facteur oriente la tendance vers le pôle opposé. Depuis deux décennies, les campagnes contre l’utilisation des amalgames dentaires ont pour effet pervers de présenter le dentiste comme un empoisonneur virtuel. Dans le cadre de cette contribution, une réactivation du débat entre les « pro- » et les « anti- » amalgames nous entraînerait à dévier notre sujet : la peur. Nous constaterons simplement l’existence d’une déferlante anxiogène consécutive au matraquage pratiqué par les adversaires inconditionnels du fameux amalgame. Souvent inconséquents, les arguments jetés dans le désordre par certains pompiers pyromanes ont provoqué une sorte de saturnisme mental. Ce magma ne peut générer que la confusion, plonge les personnes avisées dans la perplexité et conduit les plus fragiles au désarroi. Puis, détestable crescendo, le dossier est tombé dans les pattes des étiopathes, naturopathes et autres « pathes » de tout poil. Ils ont bondi sur l’aubaine, pour clamer en cœur le haro sur le dentiste empoisonneur.
Ce qui est advenu avec le fluor est également emblématique. Lorsque son rôle capital dans la prévention de la carie fut solidement établi, une frénésie s’empara du monde médical (anglo-saxon en particulier). La supplémentation en fluor atteignit de telles proportions que les cas de fluoroses se multiplièrent. Du coup, force fut de reconnaître que l’excès et la carence en fluor débouchaient sur des pathologies identique, à savoir des troubles de la minéralisation de l’émail et des dystrophies dentaires. Mettre ces sujets en parallèle aide déjà à calmer un peu le jeu. On pourrait conclure que le fluor et l’amalgame peuvent apparaître comme la meilleure ou la pire des choses : après tout, les amalgames n’offrent-ils pas des qualités mécaniques intéressantes ?

Peur des infections focales
Redouter les retentissements d’une affection dentaire sur la santé du corps humain relève du bon sens. Dans ce cas précis, la « peur » devient positive et s’apparente à de la vigilance. Les dents sont connectées à l’ensemble de l’organisme. Pour nous praticiens, il s’agit d’une évidence. Pourtant, cete vérité première ne s’impose pas à nos patients. Aussi, dans leur intérêt comme dans le nôtre, nous devrions la leur asséner sans relâche. A cet effet, nous disposons d’une image choc. Drastique, cette illustration est également globale et se répercute sur la quasi-totalité des spécialités médicales. On peut la résumer en une question : pourquoi cardiologues, ophtalmologues, néphrologues, neurochirurgiens, orthopédistes, puis, à un niveau différent, rhumatologues, oncologues et dermatologues exigent-ils de plus en plus fréquemment l’établissement d’un bilan buccodentaire avant de procéder à une intervention ou d’administrer un traitement ?
Parce que l’éventuelle présence d’un foyer dentaire infectieux non éradiqué peut mettre en cause le succès de certaines opérations chirurgicales ou place en état d’échec, une thérapie majeure. Pire, le pronostic vital du patient peut se trouver lui-même engagé. La peur muée en vigilence et assortie de prudence conduit à une judicieuse politique conservatoire. Cette option nécessaire amène une régularisation de la cadence des visites de contrôles chez le chirurgien-dentiste. En outre, et de manière naturelle, les autres médecins spécialistes tout comme la patientèle en viennent à mesurer la dimension médicale de l’odontologie. Dès lors, le chirurgien-dentiste redevient un soignant à part entière. Rien ne saurait mieux favoriser l’établissement de l’alliance thérapeutique.
Peur de l’arnaqueur
La peur de l’arnaqueur est bien vivace. Elle est intemporelle et universelle. Cette soumission, cet abandon « forcé » qui précède les soins, met déjà le patient dans un état particulier. Faute de pouvoir partager la pertinence du diagnostic et des soins entrepris, le patient ne peut s’empêcher de penser que le dentiste risque de l’arnaquer. La localisation même de l’intervention, dans la bouche, donc dans la tête, contribue à renforcer l’angoisse. Cette omnipotence du dentiste place le patient dans un état de dépendance qui se révèle ambivalent. Dépendance qui est en soit anxiogène. Le patient n’a pas le choix. Il doit se livrer, faire une confiance aveugle. Comment ne pas douter ? Ne pas imaginer que cette confiance forcée va être abusée ?
De surcroît, en France, les soins conservateurs sont parfaitement pris en charge et accessibles à tous. En revanche, les prothèses sont bien moins remboursées. Pourquoi la chirurgie qui mobilise un plateau technique conséquent et une équipe soignante lourde, est-elle intégralement remboursée alors qu’une simple prothèse, qui a finalement fait appel à beaucoup moins de moyens, reste pour partie à la charge du patient ? Facteur aggravant qui vient nourrir le cliché du dentiste « faiseur ».
En fait, la quasi-gratuité des soins est déresponsabilisante . Elle ne valorise pas la dentisterie conservatrice et préventive, et donne l’illusion qui l’est possible à tout moment de réintégrer le cursus des soins, même après une période plus ou moins longue de négligence. Peut importe, le patient sera à nouveau pris en charge. Mais le retard pris dans les soins précipite souvent le patient dans le champ des soins prothétiques. Dans l’état d’esprit français, le remboursement intégral est considéré comme une évidence, un dû et dès lors qu’il faut financièrement participé, le patient est choqué. Il se sent encore arnaqué, contrairement aux Anglo-Saxons habitués a investir pour préserver leur capital santé. Côté ombre mais aussi côté soleil l’Amérique demeure l’Amérique. La dentition est effectivement un capital, un patrimoine de prix, digne d’être soigneusement préservé. J’en eus l’illustration lors d’un bref séjour à Venise. Alors que je prenais le thé dans un hôtel, une chaleur écrasante m’incita à aller me rafraichir aux toilettes. Un touriste américain avait installé sur la tablette un nécessaire complet d’hygiène dentaire. Brosse, pâte dentifrice, fil dentaire, lotion de rinçage, rien ne manquait. Son propriétaire l’utilisait avec rigueur et minutie. Je ne pus m’empêcher de complimenter et justifiai mes éloges par ma qualité de dentiste. D’abord interloqué, le sympathique touriste se met à rire. Après avoir esquissé de la main un geste circulaire afin de souligner la parfaite ordonnance d’une magnifique dentition, il s’exclame :
« Hey man ! Cela m’a coûté un max ! J’y tiens autant qu’à ma femme et plus qu’à ma bagnole. Cela vaut le coup que j’en prenne soin. »

En France, la gratuité ne contribue pas à mettre en valeur le rôle essentiel de la prévention.
D’autre part, dans l’imaginaire collectif, les soins dentaires sont associés à des soins de riches. Ce sont les familles les plus modestes et les moins éduquées à la prévention, malheureusement, qui partent de ce principe et estiment qu’avoir de «mauvaises dents » est inéluctable. Faute d’hygiène dentaire, de soins préventifs, les enfants accumulent par exemple rapidement les caries. Ces familles, considérant qu’il y a là une fatalité, entretiennent la croyance, comme leurs parents, que leur indigence dentaire est inévitable. Dans ce contexte délétère, il est compréhensible que la peur de l’arnaqueur soit si prégnante.

Peur générées par le dentiste

Le praticien peut céder à la tentation d’occulter les angoisses du patient, parce qu’il a « peur de la peur de l’autre ». Effectivement, le soignant est souvent désarmé au moment de la confrontation à la douleur. Quelle action apaisante pourrait-il exercer sur le soigné, alors que l’enseignement – lui-même fort stressant- reçu en faculté, n’a fait qu’effleurer le sujet ? Au cours de son cursus, ne lui présente-t-on pas la dentition comme une simple addition de pièces de lego numérotées ? Comment dans ces conditions, en viendrait-il à acquérir une perception globale de l’individu ? Bien sûr, s’il est curieux, au fil des ans, le jeune praticien lira et observera. En autodidacte, il apprendra la psychologie et la communication sur le tas. Avec un inconvénient pour le patient : le rôle du « tas » lui est dévolu…
Dans une situation semblable, on imagine que le jeune praticien, ayant fort à faire avec ses propres craintes, se révélera inapte à communiquer avec son interlocuteur. Son discours risque alors de rester hermétique, voire de se révéler anxiogène. Inconscient du poids des mots, il utilisera, par exemple , les expressions « dévitaliser une dent » ou « tuer le nerf » plutôt que d’évoquer une désensibilisation. Or, il travaille sur un terrain psychiquement miné. Dans l’esprit du soigné, germera aussitôt l’idée de suppression d’unité de vie. Cela revient à ouvrir les portes d’un enfer mortifère. Car le mot, tout autant que l’image, suffit à engendrer la perturbation.

  •  Toutes ces peurs évoquées sont souvent enfouies dans l’inconscient du patient et donc non formulées. Elles ne sont pas bien sûr forcément présente d’une manière synchrone et leur intensité sera variable en fonction de la personnalité des patients.

Analyse comportementale de la douleur dentaire
Si nous étions cyniques, nous pourrions dire qu’une phase antérieure de la douleur – la préopératoire (« la rage de dent ») – représente un allié objectif pour le dentiste. Ne propulse-t-elle pas le patient vers nos cabinets ? Si nous ne sommes pas responsables de cette douleur, nous avons, en revanche, le privilège de pouvoir l’éradiquer. Envisagée sous cet angle, l’intervention nous réintègre pleinement dans note fonction médicale.
Lorsqu’un praticien met un terme à ce mal paroxystique capable d’envahir le patient et de réduire sa personnalité aux dimensions de dent dolente, il devrait recevoir toute sa gratitude. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas.

Gag clinique :
Ambivalence d’un patient sous l’emprise de la douleur :
Ainsi, un patient me fournit-il un jour un exemple des réactions étonnantes que la douleur peut provoquer. En proie aux pires affres, il avait effectué une entrée tapageuse dans le cabinet. Déstabilisé par la douleur, il disait tout et n’importe quo. Il se déclarer même à me donner sa carte bancaire et m’indiquer son code confidentiel si je le délivrais de son calvaire !
Je m’efforce de le calmer, l’installe, puis j’entreprends l’intervention. Comme on pouvait s’y attendre, le miracle – celui que vous avez tous opéré- se produit. Chassé par la douleur, le naturel revient au galop. Lorsque lui remet la feuille de soin, le patient commence à ergoter. Il s’étonne qu’en fonction du ticket modérateur, quelques euros puissent demeurer à sa charge. Dans sa lancée, il en vient à poser des questions ineptes quant à l’asepsie du cabinet avant de quitter les lieux en bougonnant.
Cette anecdote clinique illustre bien l’ambivalence, l’ambiguïté de certains patients sous l’emprise de la douleur. Elle provoque des réactions qui n’ont pas fini de nous surprendre.
 Elever le seuil de la tolérance à la douleur :
Tangible et souvent inévitable, la douleur postopératoire décuple la crainte éprouvée à l’égard du dentiste. Succédant à une plus ou moins brève accalmie, elle soumet le patient au régime de la douche écossaise. L’image du praticien oscillera au rythme de ces fluctuations. Du rôle de sauveur, à l’instant où le patient est libéré de sa douleur, il sera rétrogradé au rang de traître, presque d’escroc, dès lors que la douleur resurgira.

- Cas de réapparition d’une douleur en postopératoire :
L’évocation d’une intervention endodontique en deux temps met bien en scène cette volte-face. Imaginons un patient taraudé par une pulpite. Toutes affaires cessantes, il va consulter. Une fois l’extirpation du paquet vasculonerveux réalisée, il repartira avec le sentiment de renaître à la vie. Une semaine plus tard, il revient au cabinet. La seconde intervention sera consacrée à l’obturation canalaire. Lorsqu’à ce moment, il prend congé de son dentiste, le patient considère l’affaire comme classée. Déjà, lors du soin précédent, on avait « dévitalisé » le nerf responsable de sa souffrance. Aucun désagrément majeur ne s’en était ensuivi. Aussi, dans l’esprit du soigné, le traitement final avait caractère de fignolage. Or, le lendemain (ou parfois le jour même), la douleur va l’assaillir à nouveau !
Certes, le mal ainsi ressuscité est moins insupportable que le précédent. Il n’en est pas moins lancinant. Sensible à la pression, la dent semble se trouver aux frontières de l’expulsion. De violents élancements la traversent. Leurs échos se répercutent jusqu’au maxillaire. Lors de « la rage de dents », l’agression inattendue va engendrer un traumatisme. L’apparente incohérence de cette évolution l’aggravera.
Prévention et régularisation de la douleur
En aval comme en amont de ses interventions, le chirurgien-dentiste doit donc prévenir et contrôler la douleur de son patient. A cet effet, il dispose bien sûr de l’artillerie des analgésiques. Sont-ils totalement efficaces ? On peut parfois en douter, car la plupart d’entre eux agissent essentiellement sur la sensation, mais ont de moindre effet sur la perception, comme sur la réponse à la douleur. On soulignera encore la limitation de leur rayon d’action dans la durée. Initie-t-on une politique médicamenteuse afin d’améliorer les cycles de l’anxiété et de la douleur ? Il conviendra alors de recourir à un dosage important réparti sur de plus longues périodes. En outre, ces remèdes demeureront des palliatifs et risqueront de surcroît de produire des effets iatrogènes.
Hypnose et soins dentaire
On peut donc songer à recourir aux méthodes psychologiques. Des techniques de relaxation à l’hypnose, elles sont nombreuses et donnent souvent des résultats intéressants. Mais leur apprentissage puis leur application nécessitent un certain engagement de temps de la part du praticien. Or, cet accord ne sera pas automatique. Un solide ancrage rationaliste peut de surcroît amener des réticences. Le soigné risque d’assimiler ces techniques à quelques résurgence de pratiques magiques.

MEOPA et soins dentaire : Dans notre cadre de soins spécifiques, la douleur et l’anxiété cohabitent selon un cercle vicieux. La douleur génère l’anxiété qui elle-même potentialise la douleur qui alimente l’angoisse.

Les patients particulièrement sensibles sont en éveil et réceptifs aux moindres stimuli. Cette sédation consciente induite par l’utilisation du MEOPA pourrait révolutionner la relation dentiste-patient.
Cette régulation de l’angoisse prédisposera favorablement notre patient aux soins. Ce nouveau climat anxiolytique instauré grâce au MEOPA permettra aussi une meilleure adhésion du patient à nos plans de traitement.

 

Avantages de la sédation consciente : Tout d’abord rappelons que l’inhalation de ce gaz ne nous dispense absolument pas d’une anesthésie locale et que seule la combinaison des deux induit le scénario idéal des soins dentaires. Les caractéristiques de la sédation consciente sont :
• Intensité modulable : On peut réguler à tout moment le volume de gaz inhalé
• Rapidité d’action : L’effet anxiolytique est obtenu en deux à trois minutes
• Déconnexion du patient avec la phase désagréable du soin. Nous constatons de ce fait une amnésie partielle du temps opératoire avec occultation du caractère invasif de l’intervention.
• Un état de conscience du patient
• Une ventilation et une respiration normale
• Une coopération totale du patient qui est capable de répondre à un ordre et de donner des informations sur ce qu’il ressent.
• Une diminution de réaction aux stimuli douloureux
• Le temps de récupération est très court : de 2 à 5 minutes : Ce gaz n’étant pas métabolisé par l’organisme, il est rapidement éliminer sans effet secondaire. Le patient pourra donc quitter le cabinet sans être accompagné et reprendre une activité normale.
• Innocuité totale et aucun risque à l’inhalation de ce gaz.
• Enfin, la réduction du stress opératoire du patient améliorera notre qualité de vie professionnelle.

Dialoguer et expliquer en permanence
L’accompagnement psychologique du patient procède de l’ancestral terpnos logos de l’école hippocratique. Il se fonde sur le dialogue, l’explication factuelle et permanente. La condition préalable à sa mise en œuvre et le recours conjoint au bon sens et au doigté. Nulle autre voie ne semble mieux parvenir à impliquer le patient dans son traitement.
Son itinéraire se résume à anticiper par la description sereine chacune des étapes du traitement à la situer dans son contexte puis à en exposer les éventuels désagréments collatéraux. Loin d’éluder l’hypothèse de la souffrance, le praticien en exposera objectivement les manifestations possibles. Ce « parler vrai » aura pour premier effet bénéfique de crédibiliser l’ensemble du discours thérapeutique et de tordre le cou à la rengaine « menteur comme un arracheur de dents ». Toutefois, son mérite essentiel résidera dans l’élévation du seuil de tolérance à la douleur. En effet, les traces de peur émulsifiées dans la narration semblent vacciner le patient contre les peurs de plus grand format. Ce type de mithridatisation présente une frappante analogie avec la désensibilisation des personnes allergiques. A partir d’une démarche similaire, le psychiatre Christophe André cite dans son ouvrage « Psychologie de la Peur », André Ch. Psychologie de la peur « craintes, angoisses et phobie » Editions Odile Jacob, Paris, 2005, le cas du spécialiste en thérapies cognitives et comportementales. Afin de traiter un phobique des injections, le thérapeute l’invite à manipuler une seringue. Puis l’auteur souligne : « dans le domaine très particulier des peurs pathologiques, nous savons qu’il est préférable d’avoir ce que je nomme des « patients experts » informés sur leur trouble plutôt que des patients sans information et sans repères. »
Dans cet accompagnement psychologique, les dentistes sont considérablement aidés par les nouvelles technologies. Grâce au capteur d’image de la radiographie numérique, ils peuvent, en temps réel, présenter au patient un véritable documentaire sur sa bouche. Ceux qui croiraient détecter dans ce luxe d’informations un risque de dilapider inutilement le temps du soignant doivent être détrompés. Conforté par cette approche sécurisante, le patient acceptera mieux un plan de traitement ultérieur lorsque, par exemple, l’utilité d’une couronne lui sera démontré, image à l’appui.

Aussi simple en est le propos, notre méthode exige de la rigueur et un suivi méticuleux. Grâce à l’information qu’il dispense, il coupe l’herbe sous le pied de la très anxiogène agression surprise. Une fois prévenu d’une éventuelle douleur postopératoire, il ne sera pas exceptionnel que le patient annonce un degré de souffrance inférieur aux prévisions. S’il a été bien « briefé », il ira jusqu’à déclarer son acceptation d’une douleur révélatrice d’un processus de guérison en cours.
CONCLUSION : Psychologie de la peur
En ne comprenant pas les angoisses, l’anxiété, l’appréhension de ses patients, le dentiste risque de passer totalement à côté de la noblesse de son métier. Dès l’instant où il a pris conscience de l’impact de toutes ces peurs diffuses, parfois confuses qui habitent la plupart des patients, le praticien va pouvoir anticiper un certains nombre de réactions. En revanche, en ignorant l’angoisse, le praticien risque d’occulter complètement la relation humaine en réfugiant dans une approche purement technicienne. Un patient n’a pas envie de confier son corps, sa bouche, ses dents, sa santé à un soignant qui n’est pas passionné, convaincu et convaincant, parce que réfugié dans une approche mécanique.