Botox contre Bruxisme

Bruxisme, syndrome algodysfonctionnel des articulations temporo-mandibulaires et toxine botulique

Résumé : Le bruxisme excentré (grincements de dents) ou centré (serrements de dents) est une praxie le plus souvent involontaire et nocturne, qui aboutit à une hypertrophie des museles élévateurs de la mandibule (masséters et temporaux) avec un déséquilibre entre les muscles abaisseurs et les muscles élévateurs de la mandibule, à l’origine d’une altération de la cinétique des condyles mandibulaires et d’une hyperpression au niveau des articulations temporo-mandibulaires, ce qui peut être générateur d’importantes douleurs. Les injections intramusculaires de toxine botulique permettent en rétablissant l’équilibre entre les muscles abaisseurs et élévateurs, de soulager les douleurs, de corriger l’hypertrophie massétérine avec amélioration des contours du visage et de rétablir une cinétique normale des articulations temporo-mandibulaires.

De plus, la toxine botulique permet un déconditionnement des praxies de bruxisme et une seule séance d’injection suffit chez deux tiers des patients. Il n’est pas observé d’effets secondaires en dehors d’une diffusion aux muscles superficiels de la face chez 7% des patients, à l’origine d’un sourire « figé » pendant environ 6 à 8 semaines. Les injections intramusculaires de toxine botulique dans les muscles élévateurs sont ainsi un traitement efficace, sans effet secondaire et peu onéreux (par rapport aux traitements conventionnels) du bruxisme et des syndromes algodysfonctionnels des articulations temporo-mandibulaires

Le Dr Alain Amzalag a demandé au Pr Luc Chikhani de faire le point sur le bruxisme.

Le Pr Luc Chikhani analysera pour Capital dents les origines et les traitements du bruxisme

Pr Luc Chikhani, Chirurgien Maxillo-faciale

Responsable du service de stomatologie et de chirurgie maxillo-faciale de l’hôpital Européen Georges Pompidou

L’hypertrophie massétérine bilatérale est une affection rare qui a été décrite initialement par LEGG en 1980 chez une jeune fille de 10 ans.

Depuis, de nombreux auteurs ont étudié les différentes formes de cette affection et leur étiologie présumée, qui touche les hommes et les femmes avec la même fréquence, sans distinction de race.

On distingue les hypertrophies congénitales qui sont en fait exceptionnelles et les hypertrophies acquises qui sont de loin les plus fréquentes, survenant le plus souvent entre 30 et 40 ans parmi lesquelles on distingue deux types : les hypertrophies essentielles et l’hypertrophie en rapport avec un trouble de la mastication qui sont les plus souvent retrouvées (c’est le cas chez nos patients bruxomanes).

Le diagnostic d’hypertrophie massétérine est avant tout clinique. En effet, le muscle masséter est un muscle épais, court, rectangulaire, qui s’insère en haut sur l’arcade zygomatique et en bas sur la table externe de la branche montante et sur l’angle de la mandibule.

Avant l’utilisation de la toxine botulique, le traitement de choix de l’hypertrophie massétérine consistait en une ablation chirurgicale de la table externe de l’angle mandibulaire associé à l’exérèse de la face profonde du muscle masséter par voie endobuccale ou par voie exobuccale. Chez les patients que nous avons pris en charge, le bruxisme est l’étiologie la plus fréquemment retrouvée à l’origine de l’hypertrophie massétérine et/ou temporale. Le bruxisme peut être défini comme une praxie involontaire, répétitive, sans but fonctionel et qui est le plus souvent inconsciente. Il s’agit d’un phénomène essentiellement nocturne.

on distingue le bruxisme centré (serrement tonique des mâchoires) et le bruxisme excentré qui correspond à un grincement de dents par frottements consécutifs à des mouvements de propulsion et de rétropulsion mandibulaire ( qui apparaît dans notre série près de deux fois moins fréquents que le bruxisme centré).

1. Manifestations cliniques du bruxisme

1.1 Manifestations dentaire

Les grincements et les frottements de dents (bruxisme excentré), le plus souvent nocturnes sont générateurs de bruit le plus souvent perçu par le conjoint du patient. Ils entraînent une abrasion dentaire avec l’usure anormale des dents, notamment des bords libres des incisives et des canines et de la face occlusal des dents postérieures (molaires) des dents naturelles ou prothétiques.

Le bruxisme peut aboutir à une exposition de la dentine voire à une exposition pulpaire avec mortification de la dent. Heureusement, le plus souvent, ces mouvements d’abrasion ou d’hyperpression génèrent la production de dentine secondaire qui préserve et protège le paquet vasculo-nerveux pulpaire. Les canines et les incisives sont les premières dents à montrer des signes d’usure.

Le bruxisme, par les traumatismes d’hyperpression répétés, peut abîmer le ligament alvéolo-dentaire et l’os alvéolaire et être responsable d’une atteinte parodontale aboutissant à terme à des mobilités et des pertes d’organes dentaires d’origines parodontale.

1.2 Manifestations musculaires

Le bruxisme génère une hypertrophie des muscles élévateurs de la mandibule et notamment des muscles masséters et temporaux. Cette hypertrophie peut avoir un retentissement cosmétique chez certains patients du fait de son importance de son volume. En outre, l’hypertrophie massétérine peut bloquer le canal de Sténon et être à l’origine d’une parotidite ou d’une sialodochite .

Les patients bruxomanes se plaignent fréquemment de myalgies massétérines, de contractures matinales avec sensation de dérouillage lent et limitation de l’ouverture buccale au réveil et sensibilité à la palpation des muscles élévateurs. En l’absence de pris en charge, il apparaît fréquemment des bruits articulaires méniscaux (luxation méniscale antérieure réductible ou non) et à long terme des arthropathies arthrosiques par usure mécanique des surfaces articulaires condylo-temporales.

1.3 Manifestations articulaires

Les douleurs des articulations temporo-mandibulaires sont presque constantes chez les patients bruxomanes lors des mouvements de mastication et même au repos, pouvant contraindre les patients à une alimentation mixés, voire liquide.

2. Étiologie du bruxisme

L’étiologie du bruxisme n’est pas encore bien définie et plusieurs hypothèses sont proposées.

2.1 Théorie psychologique

Pour de nombreux auteurs, les praxies parafonctionnelles constituant le bruxisme ne seraient qu’un moyen inconscient d’évacuer le stress, l’anxiété non exprimée et la tension psychologique dans une perspective d’adaptation à l’environnement.

En faveur de cette hypothèse, on retrouve la notion que le bruxisme apparaît chez l’enfant le plus souvent entre 5 et 8 ans, à une époque où l’enfant est limité dans l’expression de ses sentiments et de ses ressentiments, du fait d’un vocabulaire encore très pauvre.

Chez l’adulte, l’incidence du bruxisme est statistiquement plus élevée chez les personnalités anxieuses, stressées, hyperactives, avec exacerbation des praxies nocturnes vicieuses lors des périodes d’examens scolaires, de diffucltés professionnelles ou conjugales et avec une résolution lorsque ces stress disparaissent. Tous les auteurs insistent sur le fait que les périodes de bruxomanie sont soumises à des variations cycliques au cours de la vie du patient, étroitement dépendantes du niveau de stress auxquelles il est soumis. Cette théorie a été confortée par des enregistrements nocturnes électromyographiques des masséters, montrant une activité électromygraphique  variable selon le niveau du stress du sujet pendant la journée.

Un autre argument en faveur de l’hypothèse psychologique du bruxisme a été apporté par l’étude de patients bruxomanes pendant leur sommeil. Le grincements de dents serait en rapport avec le stress journalier et serait responsable d’un sommeil léger avec de nombreuses périodes de la veille. En effet, les contractions et les praxies aboutissant au bruxisme ont lieu pendant le stade H du sommeil, c’est-à-dire pendant un stade de sommeil très léger. En revanche, les serrements de dents que l’on observe chez 10 à 20% des bruxomanes (stade IV) est pendant le sommeil paradoxal.

2.2 Théorie occlusale

La relation entre le bruxisme et les éventuels troubles de l’occlusion est actuellement très controversée.

Les causes les plus fréquemment évoquées sont un contact prématuré entre les dents (contact naturel ou en rapport avec une mauvaise adaptation prothétique) ,  une denture lactéale en mauvais état ou mal traitée, un édentement partielnon restauré ou mal compensé.

L’hypothèse étio-pathogénique la plus souvent retenue est que le patient qui a un conflit occlusal (un contact dentaire prématuré par exemple) tente de compenser et met en jeu des récepteurs réflexes qui agissent sur les muscles masticatoires, créant un nouveau réflexe dynamique du bruxisme.

Mais d’autres auteurs rejettent cette théorie occlusale dans la genèse du bruxisme en prouvant expérimentalement qu’un conflit occlusal ne génère pas de bruxisme et que le rétablissement d’un bon équilibre occlusal n’entraîne pas constamment de disparition de cette praxie anormale.

2.3 Autres étiologies

Certains auteurs considère qu’il existe une prédisposition génétique au bruxisme puisqu’on la rencontre souvent chez plusieurs membre d’une famille. De plus, le bruxisme serait trois plus fréquent chez les enfants allergiques que dans la population générale. Une autre hypothèse évoque un dysfonctionnement du système nerveux central.

En faveur de cette étiologie, on retrouve le fait que certains médicaments (amphétamines, phénothiazines, Levodopa) puissent induire un bruxisme.

D’autre part, certains types de traumatisme crânien avec lésions cérébrales ou coma après accident vasculaire cérébral s’accompagnent de bruxisme. Les structures cérébrales en causes n’ont pas encore été identifiées.

Dans nombres de cas, le bruxisme a une origine essentiellement psychologique, dépendante des facteurs environnementaux, mais sans rapport avec des problèmes occlusaux, rendant exceptionnelle la réalisation de meulages occlusaux.

3. Physiopathologie des douleurs dans le bruxisme

Si l’étiologie précise du bruxisme n’est pas encore bien définie, c’est aussi le cas de la physiopathologie des douleurs chez les patients présentant une hypertrophie massétérine et/ou temporale.

Les praxies non physiologiques de bruxisme entraînent une hypertrophie fonctionnelle des muscles élévateurs de la mandibule. Cette hypertrophie musculaire induite aboutit à un déséquilibre dans le jeu musculaire entre les muscles élévateurs et les muscles abaisseurs, avec un excès de puissance des muscles élévateurs qui entraîne un excès de pression au niveau des articulations temporo-mandibulaires où la pression est normalement nulle. Cette hyperpression peut expliquer une partie des douleurs.

Une autre conséquence du bruxisme est l’abrasion importante des cuspides dentaires avec comme conséquence une diminution de la hauteur du tiers inférieur de la face, ce qui entraîne lors de l’occlusion un excès d’autorotation mandibulaire par compensation, le condyle mandibulaire se trouvant dans une position plus postérieure, basculé en arrière, ce qui peut entraîner une compression de la zone bilamellaire qui est richement innervée, à l’origine de douleurs.

4. Mécanisme d’action et conséquences des injections de toxine botulique

La toxine botulique entraîne un blocage de la libération d’acétylcholine au niveau présynaptique de la jonction neuromusculaire et réalise ainsi une dénervation chimique (transitoire du fait de la repousse axonale) qui est limitée aux muscles injectés.

Il en résulte une hypertrophie et une diminution de puissance et de volume du muscle injecté, mais sans asthénie masticatoire avec les doses utilisées. Nous avons essentiellement utilisé la toxine d’origine anglaise DYSPORT, avec dilution d’un flacon de 500 unités souris dans 2,5 ml de sérum physiologique injectable et injections intramusculaires de 80 à 140 unités souris dans les muscles masséters (84%) et/ou temporaux (16%) en 3 sites différents.

Nous avons également utilisé la toxine d’origine américaine BOTOX à des doses de 25 à 50 unités.

La toxine botulique est efficace, d’après notre expérience sur de nombreux paramètres.

Les douleurs cèdent complètement chez 64% des patients après une seule séance d’injection et diminuent significativement chez 31 %. Les résultats sur la cinétique mandibulaire sont bons avec amélioration de la qualité de l’ouverture buccale, symétrisation de la cinétique des condyles mandibulaires. En moyenne, il existe une augmentation de 8 mm de l’amplitude de l’ouverture buccale maximale après les injections de toxine botulique. Les résultats sur l’hypertrophie massétérine sont excellents, 90% des patients signalent spontanément une amélioration cosmétique de leurs contours faciaux avec diminution du diamètre transversal de la face. L’examen clinique permet de confirmer une normotrophie massétérineet/ou temporale.

Les résultats sur le bruxisme sont bons avec 53% des patients cessant de grincer des dents et diminution significative du bruxisme sans arrêt complet chez 22% des patients. Le confort masticatoire est amélioré chez 73% des patients. Une augmentation significative de la longévité des prothèses fixes ou amovibles (couronnes, bridges ou prothèses implantoportées) a été constatée chez ces patients qui détériorent très rapidement et de façon itérative toutes les prothèses avant les injections de toxine botulique.

Sur le plan radiographique, on constate avec des clichés panoramique dentaire comparatifs une diminutions de l’hyperostose angulo-mandibulaire qui objectivable à partir de 24 mois environ. De plus, on peut noter l’existence d’une égression compensatrice des dents avec augmentation de 2 mm de la dimension verticale d’occlusion sur les clichés de téléradiographie de profil.

La toxine botulique permet de rétablir d’une puissance musculaire normale des muscles masséters et/ou temporaux avec comme corollaire un rétablissement de l’équilibre musculaire entre les muscles élévateurs et les muscles abaisseurs de la mandibule, ce qui permet de récupérer une cinétique mandibulaire normale et de diminuer les pressions au niveau des articulations temporo-mandibulaires. Cette diminution de puissance musculaire des muscles élévateurs de la mandibule empêche les patients de poursuivre leurs praxies de bruxisme (qui nécessitent une puissance musculaire très importante). On aboutit donc à un déconditionnement des praxies de bruxisme (du fait d’une puissance musculaire insuffisante pour bruxer), ce qui explique que pour les grande majorité des patients (65%) une seule séance d’injection soit suffisante pour faire cesser le bruxisme.

Ce déconditionnement explique donc également que la durée d’action clinique des injections de toxine botulique dépasse nettement la durée d’action chimique du produit. En effet, dans près de deux tiers des cas il n’est pas nécessaire de répéter les injections de toxine botulique tous les 4 à 5 mois, comme c’est le cas habituellement dans les autres pathologies traitées par la toxine botulique. Dans notre expérience, nous avons constaté que le délai d’apparition des premiers signes d’efficacité de la toxine botulique permet de donner une valeur prédictive sur la durée de l’efficacité clinique de ce traitement. En effet, à dose égale, plus l’effet clinique apparaît précocement (dans les 5 jours), plus le traitement sera efficace longtemps.

Les données de la littérature restent pauvres car la toxine botulique est un traitement nouveau en stomatologie et chirurgie maxillo-faciale et est hors AMM. On peut cependant citer le cas rapporté par Moore d’une hypertrophie massétérine bilatérale traitée avec succès par injection de toxine botulique, l’effet clinique ayant persisté pendant 6 mois.

En 1994, Smyth a également publié une série de sept patients qui présentaient une hypertrophie massétérine bilatérale avec d’excellents résultats, sans aucun effet secondaire.

Enfin, en 1997 Daelen a publié un cas de luxation condylo-temporale traité avec succès par injection de toxine botulique. Les effets secondaires sont rares dans notre expérience. Nous avons ainsi retrouvé 38 petits hématomes spontanément résolutifs sur une série de 1150 cas. Un faible nombre de patients (7%) peut se plaindre d’une asymétrie transitoire (durant environ 5 à 7 semaines après les injections) du sourire en rapport avec une diffusion de la toxine botulique aux muscles superficiels de la face. Une information de ce risque d’asymétrie faciale temporaire et du risque de « sourire figé » pendant quelques semaines est donc nécessaire.

5. Conclusion

Les injections de toxine botulique dans les muscles masséters et/ou temporaux sont un traitement efficace et durable du bruxisme, de l’hypertrophie massétérine et temporale et de certaines formes de syndromes algodysfonctionnels des articulations temporo-mandibulaires.

Ce traitement qui peut paraître cher est assurément moins onéreux que les traitements dits « conventionnels » dans la mesure où un flacon de toxine peut traiter deux à trois patients environ. Il ne présente pas d’effets secondaire notoire ni durable et peut être réalisé en ambulatoire. L’inconvénient principal de ce traitement est que cette indication thérapeutique est hors AMM.